Le Monde.fr | • Mis à jour le
Par Josyane Savigneau
Par Josyane Savigneau
Robert Sabatier, c'était d'abord un sourire. Celui d'un éternel enfant étonné et gourmand. Celui d'un homme qui aimait la vie. Sa grande passion était la poésie, et c'est pourtant le roman qui lui a apporté la reconnaissance et le succès public.
Né à Paris, à Montmartre, en 1923, le jeune Robert, orphelin à 12 ans, a été ouvrier typographe, avant de rejoindre le maquis en 1943, avec quelques livres en poche, et, dans la tête, les vers de son poète préféré, Baudelaire. Après la guerre, en 1947, il crée une revue de poésie, La Cassette. Quatre ans plus tard, il entre aux Presses Universitaires de France, où, dit-il, sous la direction de Philippe Garcin, il apprend à écrire, à bannir les clichés. A ses amis, qui lui conseillent d'entreprendre un roman, il répond que, comme André Breton, il réprouve ce genre et souhaite se consacrer à la poésie. Il écrit quand même une histoire en prose, qui ne lui plaît pas vraiment.
"Mais un jour, confiait-il au Monde en 2007, je suis rentré chez moi avec une jeune fille qui a refusé toutes mes avances, mais s'est emparée de mes cahiers pour les lire. C'était Christiane et nous avons vécu cinquante-deux ans ensemble, jusqu'à sa mort. Elle a aussi été romancière, sous le nom de Christiane Lesparre."La jeune femme tape le manuscrit et l'envoie dans plusieurs maisons d'édition. On est en 1953. Refusé par Julliard et Stock, Alain et le nègre est publié par Albin Michel, éditeur chez lequel Robert Sabatier restera – il y sera même conseillerlittéraire pendant quelques années avant son élection à l'Académie Goncourt en 1972.
"UNE BELLE ENFANCE JUSQUE DANS LES ADULTES"
Cet écrivain qu'on aurait pu tenir pour un notable installé ne cessait de s'étonner du "parcours improbable" du petit orphelin montmartrois qu'il avait été. Et il se rappelait avec bonheur le soutien d'Albert Camus, qui dès ses débuts avait écrit :"Il y a chez Robert Sabatier une belle enfance jusque dans les adultes." En 1968, Robert Sabatier était à New York et en voyant des gamins jouer avec de l'eau dans une rue de Little Italy, il s'est revu, enfant, dans les rues de la butte Montmartre. En rentrant à son hôtel, il a commencé à écrire l'histoire d'Olivier, son histoire.
Quand il a apporté à son éditeur le manuscrit des Allumettes suédoises, celui-ci lui ne lui a pas caché son scepticisme. Il l'a cependant publié, en 1970, faisant un premier tirage à seulement 3000 exemplaires. Mais la presse écrite, la radio, la télévision ont relayé l'histoire de ce petit Olivier. Le bouche à oreilles s'y ajoutant,Les Allumettes suédoises ont eu un immense succès, et, depuis, les huit volumes de l'histoire d'Olivier se sont vendus à plus de huit millions d'exemplaires en tout et ont été traduits dans de nombreuses langues, dont le chinois en 1995.
Trente-sept ans après Les Allumettes suédoises, Robert Sabatier a publié le huitième et dernier volume, Les Trompettes guerrières, après six autres romans, dont Trois sucettes à la menthe et Les Noisettes sauvages, avec toujours le même succès. Pourquoi alors décider que ce récit serait le dernier, puisqu'il se termine à la fin de la deuxième guerre mondiale et qu'Olivier a seulement 22 ans ?"Parce qu'après la guerre commence une autre période de ma vie, liée à la littérature, disait Robert Sabatier en 2007. L'histoire d'Olivier est en quelque sorte un livre de Mémoires, mais mes Mémoires d'avant." Et ceux d'après ? "J'ai écrit environ 1200 pages, ajoutait-il en montrant, sur une table, un imposant manuscrit.Il m'en reste environ 800 à écrire, mais je ne pense pas que cela soit publiable. C'est plutôt un voyage dans la vie littéraire qu'un vrai livre de mémoires. J'y parle moins de moi que des autres. J'ai commencé il y a près de quatre ans. L'éventuelle publication m'importe peu, je le fais pour me faire plaisir."
"NOUS N'EN AURONS JAMAIS FINI AVEC LA POÉSIE"
Pourra-t-on bientôt lire ces pages ? Il était heureux de sa réussite, du soutien constant de certains critiques, comme Jacqueline Piatier, au Monde. "Robert Sabatier a toujours pris le parti d'embellir l'époque qu'il peint", écrivait-elle en 1990, à propos de La Souris verte, "un beau roman d'amour et de mort". Grâce aux ventes de ses romans, il aurait pu tranquillement se retirer dans sa maison du midi pour fumer sa pipe et dormir au soleil. Mais la vraie affaire de sa vie littéraire demeurait la poésie, et cette monumentale Histoire de la poésie française, en neuf gros volumes, publiés chez Albin Michel, entre1975 et 1988. Sa plus grande fierté, et son plus grand plaisir.
Pour le reste, tant qu'il a pu écrire, allumer sa pipe, lire et relire Baudelaire, Rimbaud et Mallarmé, se réciter les milliers de vers qu'il savait par cœur, il a été heureux. Et il faut lui laisser le dernier mot, avec l'une des phrases de conclusion de son Histoire de la poésie française : "Nous n'en aurons jamais fini avec la poésie."
Sur le Web : www.academie-goncourt.fr.
Josyane Savigneau
Robert Sabatier en quelques dates
17 août 1923 : Naissance à Paris, à Montmartre
1953 : Premier roman, Alain et le nègre
1970 : Les Allumettes suédoises
1972 : Election à l'Académie Goncourt
1988 : Fin de son Histoire de la poésie française, 9e volume
28 juin 2012 : Mort à Paris
No comments:
Post a Comment